Le boeuf
La race bovine normande a retrouvé
en partie, lorsque furent institués les quotas, l'avantage
d'être à deux fins : lait et viande. Elle présente
quelque ressemblance avec la race norvégienne avec, comme
caractères, le front déprimé (le coup de poing,
dit-on), les arcades saillantes, l'il bien sorti, la tête
courte, le mufle épanoui, les naseaux dilatés, les
cornes fortes, le dos droit, la croupe large. La robe est de couleur
bringe, le plus souvent, ou bien caille (avec de grandes taches
blanches). Cette race eut des sélectionneurs passionnés,
parmi lesquels, dans le val de Saire qui fut son berceau, on se
doit de citer la dynastie des Noël. Vers 1930, ses reproducteurs
ont été vendus en Amérique du Sud et à
destination d'autres nations lointaines, et la normande y a fait
une belle carrière. Cette glorieuse époque a été
suivie d'une autre où, hormis les plus éclairés,
un certain nombre d'éleveurs s'endormirent sur les lauriers
des pionniers. Mais les performances de la holstein ont provoqué,
de la part de ceux qui se voulurent fidèles à la normande,
une réaction salutaire. La sélection a porté
ses fruits et les comices, un moment brocardés pour s'en
être tenus à l'esthétique, ont introduit le
rendement économique dans leurs critères. La normande
mérite plus que jamais de figurer en bonne place dans l'imagerie
de cette région, véhiculée par la plupart des
boîtes de camembert qui est une gloire nationale -
aux côtés d'une triolette aux joues rosés, sous
les pommiers en fleur.
Le rôti de buf
fut longtemps, en Normandie, le plat du dimanche, au même
titre que le gigot : beaucoup d'enfants se souviennent d'avoir été
sommés, bon gré mal gré, d'avaler le jus réputé
fortifiant de cette viande servie saignante, en belles tranches,
avec les haricots verts du jardin et, à la belle saison,
les pommes de terre nouvelles. Ceux-là ne se convertiront
pas demain au bifteck haché surgelé, ayant été
vaccinés par des grand-mères pleines de bon sens contre
les produits calibrés.Les vrais Normands ne sont pas fanatiques
du buf de quinze mois, plus tendre que la vache de réforme
ou que ses aînés, mais autrement moins goûtu.
Ils ne veulent pas entendre parler de teneur en matière grasse,
discours qui convient aux malades ou à ceux qui craignent
de le devenir : ils aiment la viande bien persillée, c'est-à-dire
avec le gras qu'il faut pour inspirer le désir de "
gagner son bifteck". Le veau de lait a retrouvé la faveur
des gourmets, par opposition sans doute au redoutable veau aux hormones,qui
rétrécit dans la poêle. Il ne mérite
certes pas le titre diététique de " viande blanche
", qui sent la bête malade, car il est rosé et
savoureux ce téteau qui a gambadé dans le pré
: l'escalope vallée d'Auge a été inventée
pour célébrer son accord parfait avec la crème
de Normandie.
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Le porc
" Dans le cochon, tout est bon ", affirme la sagesse populaire,
et il est bien vrai qu'au temps où l'assassinat de ladite
bête était jour de fête, dans toutes les fermes
de Normandie, on n'avait pas trop de la journée pour en préparer
tous les morceaux. Du museau jusqu'aux pieds, de la saucisse au
boudin, gloire de Mortagne, en passant par l'andouille, dont Vire
est la capitale incontestée, sans oublier les jambons que
l'on fumait dans l'âtre, l'intégralité du "
vêtu de soie " était prétexte à
gourmandise.
La mise à mort ferait sans doute lever le cur
des citadins, car le cochon poussait grands cris avant de rendre
l'âme. Mais la brave bête, qui avait dévoré
tous les restes de la maison avec voracité, ignorant qu'elle
hâtait ainsi sa fin, était saignée sans remords.
Le cochon constituait, il est vrai, dans beaucoup de familles, la
viande la plus couramment consommée : elle était salée,
et l'on n'a jamais entendu dire que le grand saint Nicolas en ait
ressuscité aucun... Le rituel s'est un peu perdu, mais le
cochon conserve toujours la sympathie du public : petite saucisse
sur pied dans ses premières semaines, il devient ensuite
une bête imposante. Le porc de Bayeux, dont le rosé
est taché de noir, a connu ces dernières années
un regain d'intérêt : il est issu du croisement entre
le porc gaulois et un porc noir anglais, le bershire.
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L'agneau de pré-salé
Partout en Normandie, il y eut
des bergeries, comme en témoignent les tableaux de Jules
Rame. Le mouton autochtone a beaucoup profité, dit-on, d'avoir
été croisé, il y a cent cinquante ans, avec
la race d'outre-Manche. Ceux qui vivent dans la baie du Mont-Saint-Michel,
dits " de pré-salé ", jouissent à
juste titre d'une réputation particulière. L'histoire
est fort ancienne, puisqu'elle remonte au Xie siècle, et
si elle a perduré, c'est que la qualité gustative
des milliers de " grévins " de la baie et de la
côte ouest du Cotentin est incomparable. Cet agneau mythique
tire sa délicate saveur des herbes de la baie du Mont-Saint-Michel
dont il se nourrit. L'herbe qui pousse sur les terres en bord de
mer recouvertes quatre à six fois par an par les grandes
marées est salée et parfume la chair des moutons.
Le gigot demeure un plat de fête, et on le réserve
plusieurs jours à l'avance pour Pâques, si l'on suit
la tradition qui veut que l'on sacrifie l'animal âgé
de moins de un an, avant que l'agneau ne devienne mouton. Il est
également délicieux lorsqu'il est rôti en plein
air à la broche, comme il est d'usage dans les grandes foires,
et à Lessay en particulier, où l'air embaume autour
de la tente des rôtisseurs. C'est un régal pour le
palais, mais aussi pour l'il, car on y croise encore des figures
hautes en couleur, et fortes en gueule... Barbey d'Aurevilly écrivait
à un ami gastronome : " j'ai ordonné, comme maréchal
des gigots, un gigot bon et tendre comme la fesse d'une femme. On
le fera mariner, on le piquera d'ail, on le servira broche en bouche,
saisi avec génie et jetant le sang dans le jus, au couteau...
" Avec ou sans marinade, avec ou sans ail, selon la religion
de chacun, un bon gigot est à coup sûr un grand moment.
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L'andouille
Ils sont bien mal inspirés ceux
qui ont fait un quolibet du nom glorieux d'une illustre spécialité
charcutière, née dans le bocage virois. Car il faudrait
bien des lignes pour expliquer la métamorphose qui préside
à la naissance d'une andouille digne de ce nom, depuis les
abats du cochon jusqu'à la merveille fumée qui cache
sous une peau d'ébène une saveur inimitable. Et il
faut un vrai savoir-faire pour régaler l'amateur ! La querelle
est inexpiable qui oppose les partisans de l'andouille de Guéméné
et ceux de l'andouille de Vire : l'honnêteté oblige
à dire que les deux sont savoureuses, et l'esprit régional
de défendre la véritable andouille, selon que Dieu
vous a fait naître sur l'une ou l'autre rive du Couesnon.
Là encore, méfiez-vous des contrefaçons et
ne confondez pas l'original et la copie : arrosée d'un bon
cidre, l'andouille de Vire est un plat de roi, dont une confrérie
haute en couleur défend d'ailleurs les lettres de noblesse.
Ceux qui traitent un empoté d' " andouille ficelée
" devraient être poursuivis en diffamation : Seigneur,
pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils disent...
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Les tripes
Les tripes en Normandie, c'est toute
une affaire, et si l'on ne craignait de contrevenir à la
loi sur la parité, on serait tenté de dire que c'est
une affaire d'hommes. Non que les femmes ne fassent honneur à
cette spécialité régionale renommée
: si quel-ques délicates défaillent à leur
parfum, il en est qui s'en régalent, avec un bel appétit.
Mais les tripes, c'est la collation du chasseur et du marchand de
bêtes, le plat fétiche des campagnes électorales,
le sujet du concours gastronomique normand le plus glorieux, l'orgueil
du lauréat de la Tripière d'or, la petite madeleine
de l'exilé, la plus conviviale de nos spécialités,
bref, une pure merveille. Fabriquées avec l'estomac du buf
( la panse, le bonnet, la caillette), du pied de buf, quelques
rondelles de carottes et un bouillon assaisonné, constituent
les éléments de base de la recette classique. Les
tripes ne sont pas nées d'hier, puisqu'elles remontent, dit-on,
à l'époque romaine, et faisaient le régal du
duc Guillaume en personne. C'est aux Halles qu'un cuisinier normand
répondant au doux nom de Pharamond leur donna la gloire nationale.
Après-guerre naquit le concours de la Tripière d'or,
qui vient de fêter ses cinquante ans et voit s'affronter aujourd'hui
pour leglorieux titre de " meilleure tripe du monde "
des concurrents des pays les plus lointains. Consistance, parfum
et saveur sont soumis au jugement de jurats en grand uniforme. Les
tripes ne sont pas une affaire d'Etat, mais un grand sujet régional,
sans aucun doute. A déguster, donc, avec le recueillement
dû aux fondements de notre identité !
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